17 juin 2010

Fausta de Claudia Llosa (Pérou)

Un film péruvien triomphe au Festival de Berlin 2009
C’est à l’unanimité que la 59e Berlinade a décerné son Ours d’or au premier film péruvien à concourir à Berlin : La teta asustada de Claudia Llosa, 32 ans. Elle est la nièce de l’écrivain Mario Vargas LLosa et avait obtenu un certain succès en 2006 avec son premier film Madeinusa (c’est le prénom de l’héroïne) présenté dans de nombreux festivals comme Toulouse ou Villeurbanne.
La teta asustada (La mamelle effrayée) a, pour le correspondant du Monde « une trame légère, le propos grave, l’inspiration magique. Il commence par la mort d’une vieille femme chantant une chanson bouleversante évoquant les viols au Pérou pendant les affrontements politiques des années 1980 ».
Rappelons que les exactions perpétrées de part et d’autres de 1980 à 2000 firent 70 000 morts touchant principalement les indigènes.
Dans le film Fausta est une jeune et belle femme qui souffre d’une maladie, « le lait de la douleur » ,qui est transmise par le lait maternel. Cette maladie touche uniquement des femmes qui ont été maltraitées ou violées.
Fausta, une beauté farouche, sujette aux évanouissements incessants, est terrifiée par la vie et par les hommes. Elle vit dans un quartier misérable de Lima en faisant des ménages chez une riche bourgeoise qui lui vole ses chansons.
« Le film mélange le grotesque au tragique, la beauté à la cruauté, la poésie à l’obscénité. Entre le cadavre de la mère et la joyeuse industrie du mariage qui sert de gagne-pain à la famille de Fausta…on navigue, médusé et ébloui en plein monstruosité latino-américaine » (J.Mandelbaum)
L’idée du film est venue à Claudia en lisant les témoignages de nombreuses femmes violées durant la guerre, et aussi de cette croyance populaire à savoir qu’elles transmettaient, avec leur lait, l’effroi de ce qu’elles avaient vécu avec leurs nourrissons. « A l’époque, la violence avait un double visage (l’armée et le Sentier lumineux) et c’est pour cela, ajoute-t-elle, que j’évite d’aborder la chose frontalement dans mon film. Je ne veux pas désigner les coupables mais je veux montrer l’étendue du désastre qu’ils ont commis ».
Après avoir primé l’an dernier le film brésilien Tropa de elite, l’Amérique latine se voit doublement récompensée à Berlin cette année. L’autre vainqueur du palmarès fut l’Argentin Adrian Biliez qui a raflé trois prix avec Gigante, portrait insolite et drôle d’un veilleur de nuit de supermarché qui, sous son physique imposant, cache une âme sensible lorsqu’il apprend qu’une femme de ménage qu’il voyait toutes les nuits sur son écran est licenciée.

La Yuma, film de Florence Jaugey (Nicaragua)

A Managua au Nicaragua, une jeune fille des quartiers populaires, Yuma, veut échapper à la drogue et à la pauvreté en devenant boxeuse. Là, sur le ring, l’agilité et l’énergie nécessaire pour s’imposer lui permettent de réaliser ses rêves.
Durant une manifestation, elle rencontre un étudiant en journalisme qui l’attire, mais leurs deux mondes sont trop différents. Le crime et la pauvreté les mettent face à un Nicaragua divisé en classes sociales violemment contrastées.
Le film a été réalisé par Florence Jaugey, une française qui vit au Nicaragua depuis le début des années quatre-vingt dix. En France, d’abord comédienne, on l ‘a vue dans quelques films avant d’aller seconder Ken Loach sur le choix des comédiens locaux pour Carla’s song. Depuis, elle a tourné de nombreux documentaires dont les plus connus sont Cinéma Alcazar (1999), L’île des enfants perdus (2002) ou L’histoire de Rosa (2005).
La réalisation a été un véritable défi, car c’est le premier long métrage tourné au Nicaragua depuis vingt ans. Filmé dans l’urgence et la précarité, il est interprété par des acteurs tous non professionnels.
Florence Jaugey expliquait au dernier festival de Biarritz, que, comme il n’y a pas de production audiovisuelle au Nicaragua, il faut payer les salles ou les chaînes de télévision pour présenter un documentaire. « Seuls des films des États-unis ou des télénovelas (feuilletons) sont diffusés. C’est terrible de ne pas avoir le reflet de sa propre image à la télévision. C’est une perte énorme car on ne peut pas construire une identité en se référent constamment à l’étranger. »
C’est sans doute parce que « la population la plus défavorisée manifeste un talent d’équilibriste remarquable pour affronter la vie de tous les jours » que Yuma va aller à la rencontre les gens du cirque qui passe dans son quartier. Grâce à sa force, à sa détermination et à son astuce la jeune fille n’a pas peur des gangs, et n’est jamais désespérée.
La mise en scène est plutôt classique, mais l’interprétation de Alma Blanco, une jeune danseuse de Managua, qui joue le rôle de Yuma, est parfaite.

Alain Liatard

La Corne d'abondance, film cubain de Juan Carlos Tabio

El Cuerno de la abundancia ("la corne d'abondance") est le 6e film du Cubain Juan Carlos Tabío, connu surtout comme le coréalisateur avec Tomás Gutíerrez Alea de Fresa y Chocolate et de Guantanamera. Ses premiers films étaient Se permuta (1983) et Plaff (1988). Dans ces films, la vie est agréable ; il y a à boire, à manger et les appartements sont confortables, même si la bureaucratie y est omniprésente, stupide et tatillonne. Vingt ans plus tard, tout va plus mal : La Havane est complètement dégradée et il n'y a plus beaucoup d'espoir. Quand on demande au réalisateur pourquoi le film est si noir, il répond : « l'art dépeint la réalité et lui renvoie sa propre image » mais qu' « il a cependant voulu faire une comédie parce que l'humour peut permettre au spectateur de réfléchir ». « La Corne d’abondance, ajoute-t-il, opère la synthèse de tous les points clés de la société cubaine au sein d’un village qui la représente tout entière ». Les spectateurs ont apprécié ce film (qui a remporté le prix du public au dernier festival de Biarritz) qui parle d'un éventuel trésor du XVIIIe siècle que les Castiñeiras se partageront s'ils arrivent à vaincre les nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin.
Ici la fable sociale est sous-jacente et camouflée derrière une comédie chorale légère et cocasse qui tourne définitivement le dos au pensum politique. A mi chemin entre la comédie italienne qui a toujours su exploiter la misère pour faire rire (exemple : Affreux, sales et méchants de Ettore Scola) et la folie délirante d'Alex de la Iglesia, La Corne d'abondance joue d'un décalage humoristique bienvenu, qui, malgré une mise en scène parfois un peu trop classique, est totalement réjouissant. Juan Carlos Tabio restant fidèle à ses comédiens, on retrouve ici Jorge Perugorria et Paula Ali dont le charme évident contribue à gommer les défauts des personnages et à nous les rendre attachants. Le message social sous-jacent qui confronte Cuba aux grands pays industriels est, quant à lui, amené par une séquence d'une étrange poésie (on vous laisse la découvrir). « Que ceux qui aiment le cinéma picaresque et chaleureux, satirique et sensible, courent voir ce petit film sans prétention mais grandement sympathique et extrêmement touchant ». écrit-on sur le site cinéma-France. Terminé depuis 2008, il n’est sorti qu’en Février 2010, et reste inédit à Lyon.

Alain Liatard

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Raoul Peck, cinéaste haitien

Nommé en janvier 2010, président de la Fémis, l’École de cinéma de Paris, Raoul Peck commence sa carrière en 1992 avec L’Homme sur les quais, qui évoque son enfance à Port-au-Prince, sous la dictature des Duvalier ( d’ailleurs, Baby Doc vit toujours en France). Le film, une fiction orchestrée par un flash-back, raconte l’horreur vécue par trois fillettes que leurs parents ont du confier à leur grand-mère pour fuir la répression politique des « tontons macoutes ».
On retrouve Haïti dans le film qu’il vient de présenter au Festival de Berlin, Moloch Tropical, qui évoque les dernières vingt-quatre heures au pouvoir du président Aristide dont Peck fut ministre de la culture de 1995 à 1997 avant de démissionner avec le premier ministre Rosny Smarth, écœuré par la cuisine du pouvoir et ses règles truquées. « Toute démarche individuelle, précise Raoul Peck, est vouée à l’échec à long terme. Le vrai changement se fait dans la durée et à partir d’un collectif conscient ».
On retrouve ce thème du tiraillement entre l’intégrité et les compromissions dans son Lumumba (2000), un portrait-fiction du leader charismatique de l’indépendance du Congo, pays où il a longtemps vécu. « Comment faire passer une voie progressiste dans un environnement qui à d’autres priorités économiques et sociales ? » résume-t-il.
Dénoncer le cynisme, crier contre l’exploitation des pays pauvres pour le seul bien des plus riches : toute l’œuvre de Peck illustre ce combat, notamment Le profit et rien d’autre (2000), documentaire violemment anticapitaliste. Dans Sometimes in April (2005) il s’attaque à la répression du génocide rwandais et y accuse la communauté internationale, en particulier la France, l’ONU, les États-unis.
Il a réagi après le tremblement de terre d’Haïti contre « la tentation d’une mise sous tutelle » du pays et déclaré : « l’Haïti que j’ai connue est morte. Une nouvelle Haïti va naître. »

(D’après un article de Jean-luc Drouin, paru dans Le Monde du 3 février 2009)

Comédien, metteur en scène, acteur, Jean Michel Martial a un parcours singulier. Il abandonne le métier de chirurgien dentiste en 1983 pour devenir comédien. En 1989, invité par la Comédie Française, il joue dans Le Marchand de Venise. En 1995, il passe à la mise en scène et crée sa propre compagnie. Il fait de la télévision (série Profilage, récemment). Particulièrement remarqué dans l’Homme sur les quais, il joue dans de nombreux films dont Sucre amer (1998) ou Corps plongés de Raoul Peck (1998). Récemment, on l’a vu dans Trésor et dans Une affaire d’État. Il a également réalisé des documentaires.

La Nana, film de Sebastian Silva

La Nana,
Attention aux faux amis : il ne s’agit pas de la version chilienne de l’œuvre d’Émile Zola, ni d’un film de teenagers, mais le portrait d’une nounou chilienne.
Raquel est donc la bonne des Valdés. Elle a élevé les enfants, délaissé sa famille et n'a rien d'autre au monde. Quand on décide de prendre une seconde bonne pour la décharger, Raquel tend des pièges aux nouvelles et les obligent à démissionner jusqu'au jour où arrive Lucy, jeune provinciale pleine d'humour… Le réalisateur connaît bien la réalité de ces familles nombreuses et égoïstes et de ces bonnes qui parfois y trouvent refuge et prison.
En effet le monde extérieur n’existe pratiquement plus. (Si vous venez voir le film pour une visite touristique de Valparaiso, c’est raté !). La nana n’a que très peu de relations avec sa famille. Les enfants Valdés sont devenus les siens. Elle ne comprend pas qu’en grandissant, ils l’abandonnent et se rendent compte de la différence d’éducation et de classe. Car malgré toute la tendresse que la famille bourgeoise, à peu prés identique à celle de chez nous, témoigne à sa domestique – pour son anniversaire, chacun offre un petit cadeau, Raquel est profondément asservie : elle est à la fois intégrée à la cellule familiale, mais aussi remise à sa place par un geste « anodin » (une porte qu’on referme sur elle) ou un mot « malheureux » (« Tu n’es que la bonne, ici. »).
Sebastián Silva est un autodidacte, «peu cinéphile », dit-il, mais, peintre et auteur de bandes dessinées, il peut établir un scénario rigoureux et transmettre à ses collaborateurs ses idées de composition et de couleurs.
Une importante partie de la réussite du film tient à la remarquable interprétation de Catalina Saavreda, une comédienne habituée au registre comique qui donne à Raquel une force et une subtilité impressionnantes. Tous les portraits des personnages sont humains et n’ont rien de manichéen.
« Que l’on regarde l’originalité de son sujet, écrit Serge Kaganski dans les Inrocks, le déroulé de son récit (on ne sait jamais trop où l’on nous emmène), la virtuosité modeste et non apprêtée de sa mise en scène, ou la qualité de ses acteurs, pas de doute : cette Nana-là, mon vieux, elle est terrible ! »

Alain Liatard

C'est ici que je vis de Marc Recha

Marc Recha n’est pas un nouveau venu dans le cinéma catalan. Depuis El cielo sube (1991) réalisé à l’age de 20 ans, il a tourné L’arbre aux cerises (1999), Pau et ses frères, sélectionné au Festival de Cannes en 1991, Les mains vides, filmé dans les Pyrénées françaises avec Olivier Gourmet (2003) et enfin C’est ici que je vis, tourné au printemps 2008, mais seulement diffusé en 2010.
Ce dernier film est un peu différent des autres. Nous sommes dans une zone particulière où il est presque impossible de distinguer le documentaire et la fiction, à moins que les deux ne soient intimement liés.
Dans C’est ici que je vis, il inscrit ses personnages dans des univers aussi inattendus que les concours de chants d’oiseaux ou les courses de lévriers dans un cynodrome vétuste à Barcelone. Il situe son histoire dans les quartiers populaires, en lisière de Barcelone, zone péri urbaine délimitée par une rivière où s’enchevêtrent nœuds d’autoroutes, monde industriel et friches rurales.
Arnau, un adolescent de 17 ans vit donc à la frontière entre banlieue et nature, essayant par ses concours de gagner de l’argent afin de faire libérer sa mère de prison. Le film développe une ambiance poétique à l’image très belle, qui permet de ne pas tout expliquer. Recha développe aussi une narration plus classique que dans ses films précédents. Comme le dit Télérama le cinéma buissonnier de Marc Recha n’en a que plus de charme. Le générique, petit film d’animation est lui aussi très agréable.

Alain Liatard

Le Casino,cinéma disparu de Villeurbanne (Rhone)

Souvenir du CASINO de Villeurbanne


En passant cours Émile Zola, je vois un immeuble en construction à l’emplacement du cinéma CASINO, impasse du Casino (aujourd’hui Rue Hector Berlioz), oublié depuis longtemps. Il ne reste aujourd’hui pratiquement plus de trace des 16 cinémas villeurbannais existants dans les années 60 et aujourd’hui disparus.
Philipe Videlier dans son livre remarquable CINEPOLIS publié en 2003 aux éditions La passe du vent, 132 p, 12 euros , en collaboration avec la ville de Villeurbanne, raconte la vie des cinémas de notre Cité . Nous lui empruntons ce qui concerne le CASINO.
En août 1913, raconte Philippe Videlier, un cafetier, Pierre Buisson, fit bâtir au 49 bis du cours Émile Zola une salle des fêtes de 700 places et 3 bacons, qu’il appelle Casino.
La première eut lieu le 24 décembre, avec une partie lyrique assurée par Mme Devilliers de Paris, monsieur Lauzin, baryton d’opéra et les Delval, comiques troupiers, avant la projection du film Pathé, Nick Winter et le vol de la joconde. Pour la Saint Sylvestre étaient présentés La retraite de Russie et Rigadin au balcon.
C’est l’un des deux seuls cinémas avec les Variétés, 17, grande rue des Charpennes à rester ouvert durant la grande guerre de 14-18.
En 1921, se construit le Fantasio, 3 rue Eugène Machuel, et un peu plus tard d’autres salles dont le Family (aujourd’hui le Zola).ouvert par Marius Meunier-Riviére charcutier de son état.
A la fin des années vingt 10 % de la population villeurbannaise pouvait trouver place dans une salle de cinéma le samedi soir ou le dimanche.
Parfois les associations sollicitaient les cinémas pour projeter des films interdits par le secteur commercial. En 1929, les amis de l’URSS firent donner au Casino, Le Krassine au pole, film sur le sauvetage d’un équipage italien en perdition par un navire soviétique, montrant ainsi la grandeur d’âme des marins communistes secourant un navire fasciste. Les inspecteurs de la mairie n’étaient guère heureux que l’association ait vendu les invitations 3 francs.
Si le Fantasio fut le premier cinéma à s’équiper en parlant, en octobre 1930 avec Sous les toits de Paris de René Clair, le Casino s’équipe début 31.
Vers 1935, on pouvait entendre à l’entracte la célèbre Mére Cotivet de Radio Lyon au Family, tandis qu’au Casino, Sonia Towsky du Châtelet de Paris rivalisait avec les costaux Rosario ou le fakir Ben Aga. C’était aussi le lieu de conférences ou de débat. On put entendre Georges Lévy, « le médecin des pauvres » candidat à la députation en 1935, réunir 700 auditeurs au Casino.
Les salles projetaient toutes sortes de films, des nanars aussi bien que des chefs d’oeuvres. Ainsi en mai 1940, au moment de la débâcle, on pouvait voir La femme du boulanger ou La fin du jour à Villeurbanne.
Le 14 septembre 1944, le jour où le Général de Gaulle est venu à Villeurbanne, le Casino passait La bonne étoile et le Family, L’invitation au bonheur.
Bien entendu, en novembre 1960 lorsque Louis Pradel, maire de Lyon interdit la projection de J’irai cracher sur vos tombes d’après Boris Vian, parce que l’on y voyait une femme blanche, aux seins nus embrasser sur la bouche un noir, le Casino, l’Eden, le Family et les Iris passèrent le film à scandale « en première vision » sur l’agglomération, ce qui n’arrivait jamais.
Avec l’apparition de la télévision, la démocratisation de la voiture, le cinéma se met à péricliter et la municipalité laisse faire. Le casino passe 077, intrigue à Lisbonne ou sans doute des films de karaté avant de fermer le 20 novembre 1966.On mit quelques semaines sur la façade un écriteau avec « fermé pour travaux », mais le cinéma ne devait jamais rouvrir.
Le bâtiment devint, je crois, un garage avant d’être démoli l’an passé. Le nouvel immeuble n’entendra plus les rires des enfants à Rigadin ou à Laurel et Hardy. On ne verra plu les spectateurs sortir les yeux rougis après un triste mélodrame.
En 1973, il ne restait plus que 4 salles en activité à Villeurbanne, deux dix ans plus tard (le Zola et le CNP), et une seule aujourd’hui, forcément votre cinéma préféré.

Merci encore à Philippe Videlier.

Alain Liatard

Le dernier été de la Boyita

Retour sur Le Dernier Été de la Boyita (El útimo verano de la Boyita)

Ce film a obtenu le prix du public aux 22e Rencontres Cinémas d’Amérique latine de Toulouse 2010.
En Argentine, en ce début d’été des années 1960 les enfants jouent dans la boyita, populaire caravane amphibie installée dans le jardin et qui est le lieu des secrets et des trésors enfantins. Jorgelina, qui a une douzaine d’années, préfère aller passer ses vacances à l’hacienda familiale plutôt que de partir à la mer avec sa sœur, un peu plus âgée qu’elle. Elle découvre à la campagne un monde différent de celui qu’elle se rappelait, beaucoup plus complexe, confus mais fascinant. Elle retrouve Mario, son ancien compagnon de jeux, maintenant un adolescent qui travaille durement à la ferme et dont elle va découvrir la façon de vivre et les secrets.
Ce film très attachant est réalisé par Julia Solomonoff dont c’est le deuxième film, après « Hermanas » en 2005. . Il nous montre la dureté de la vie à la campagne, dans des lieux pourtant magnifiques où l’on se déplace de préférence à cheval, mais aussi l’intolérance du monde des adultes souvent endurcis par les difficultés quotidiennes et désarmés devant les extravagances de l'existence. Jorgelina a encore ses rêves d’enfant, tandis que Mario doit gagner une course contre les adultes pour pouvoir s’affirmer dans la communauté. Sous-tendu par les questions d’identité sexuelle, le scénario reste écrit à hauteur d’enfant, sans jamais rien enfermer dans des explications précises et par là réductrices. Julia Solomonoff préfère multiplier les anecdotes sensibles et beaucoup plus signifiantes. Comme cette mue de serpent trouvée par Mario, lui-même préoccupé à préserver son identité.
Très marqué par le cadre dans lequel il se déroule en grande partie, ce film est cependant universel et à aucun moment il ne fait appel au folklore.
Sortie en France le 8 septembre 2010

Octubre: rencontre avec les frères Vega

À l’issue de la projection de leur film Octubre dans la section Un certain regard du festival de Cannes, nous avons rencontré les frères Vega sur le ponton de l’hôtel Majestic.
A. L. : Qui êtes-vous ?
Da. V. : Nous sommes deux frères nés à Lima (Pérou). Diego (35 ans) a fait des études de scénariste à l’École de cinéma de Cuba, puis a poursuivi ses études en Espagne, grâce à un accord avec l’école de Cuba. Moi, Daniel (36 ans), j’ai fait des études de communication à Madrid. Nous avons seulement onze mois et vingt jours d’écart.
A. L. : Pourquoi avoir choisi comme personnage principal de votre film un usurier ?
Cela permettait au départ de montrer un homme froid et sans émotion que l’arrivée d’un bébé va perturber. Et il fallait y mettre de l’humour.

A. L. : Le titre Octubre, c’est en référence à Eisenstein ?
On nous l’a demandé plusieurs fois. Non, il se trouve qu’en octobre, il y a d’importantes cérémonies religieuses à Lima avec le Seigneur des miracles. Et comme nous voulions montrer Sofia, amoureuse de Clemente, comme une personne très pieuse, appartenant à une confrérie, nous avons décidé que tout le film se déroulerait en octobre, même si, en fait, nous avons tourné à une autre saison (sauf évidemment les plans de défilés). Nous avons mis trois ans à réaliser le film.

A. L. : Comment se passe un tournage à deux réalisateurs ?
Di. V. : Comme nous avons le même âge, nous avons moins d’un an d’écart, nous avons des idées proches. En fait, je fais le scénario, puis Daniel intervient pour la réécriture et la réalisation. Sur le tournage Daniel s’occupe des images et moi des acteurs ; il n’y a pas de conflit.

A. L. : Vos Maitres, vos influences ?

Enfants, nous voyions des films romantiques ou d’action. Depuis nous avons découvert Bresson, Kaurismaki, Jarmush et certains films argentins ou uruguayens, comme El otro, El custodio ou Whisky . Mais nous pensons qu' Octubre est notre propre interprétation de ce cinéma.

A. L. : Des projets ?
Oui, nous sommes en train de préparer à deux un nouveau film.

Propos recueillis à Cannes le 21 mai 2010

Le cinéma argentin

Le cinéma argentin est l’un des plus dynamiques d’Amérique du Sud. En effet, sa production est importante dès les années 1940 quand les émigrants, dont de nombreux cinéastes, fuyant la guerre en Europe, viennent se réfugier ou se cacher en Argentine. Dans les années 1950, quelques réalisateurs, comme Hugo Fregonese, allèrent faire carrière à Hollywood. D’autres furent reconnus à l’étranger comme Leopoldo Torre Nilsson avec La casa del Angel (1957), Fin de fiesta (1960), ou Martin Fierro (1968). On a pu, alors, parler d’un renouveau esthétique, car des cinéastes comme Fernando Birri devinrent des théoriciens du cinéma et influencèrent Fernando Solanas qui tourne son film manifeste La hora de los hornos en 1968, avant d’être obligé sous la dictature (1976-1983), d’émigrer en France où il réalisera Tangos, l’exil de Gardel (1985). Après la chute des militaires, le cinéma renait avec Hector Olivera qui présente le réjouissant No habra mas penas ni olvidado (1983) ou La noche de los lapices (1986). Luis Puenzo réalise en 1985 La historia official, qui connut un succès mondial. Adolfo Aristaraín propose avec son acteur fétiche Fernando Luppi Tiempo de la revancha en 1981, puis Un lugar en ail mondo en 1991. Eliseo Subiela filme les Últimas imágenes del naufragio en 1989 et Marcelo Piñero Tango feroz (1993).
Curieusement, la crise – malicieusement abordée dans Conversaciones con Mamá (2004) de Santiago Carlos Oves – ne freine pas la création cinématographique. C’est qu’il existe à Buenos Aires une université du cinéma qui va devenir une pépinière de cinéastes. L’université, devenant producteur de films, va faire connaitre des cinéastes comme Israel Adrián Caetano avec Pizza, birra, faso (1998) et Un osso rojo (2002), Pablo Trapero avec Mundo grua (2001) et El buenaerense (2003), Fabio Bielinski avec Nuevas reinas (2002), Daniel, Burman avec Esperando al Mesías (2000). La plupart de ces cinéastes deviennent à leur tour producteurs et de nouveaux cinéastes apparaissent.
Au cours de la dernière décennie Diego Lerman réalise un très beau film sur l’homosexualité féminine Tan de repente (2003). Juan Solanas filme Nordeste (2005), Lucrecia Martel La cienaga (2001) et La mujer sin cabeza présenté à Cannes en 2008, Lucia Puenzo, XXY (2007), un beau film sur le passage à l’âge adulte, et Pablo Agϋero tourne en Patagonie Salamandra (2008), actuellement sur les écrans français.
C’est aussi en Pantagonie que Carlos Sorin filme après 17 ans d’inactivité Historias minimas (2003) et Bombón el perro (2005). Suivra en 2007 El camino de san Diego qui évoque d’une manière inattendue la star du foot argentin Diego Maradona. Quand il apprend que Maradona est hospitalisé, Tati Benitez entreprend un voyage de plusieurs jours afin de porter au malade un tronc d’arbre qui ressemble, selon lui, à l’idole d’une grande partie du peuple argentin. Sorin réussit à dépasser les performances sportives et donne une représentation inattendue du supporter.
Du coté social, Fernando Solanas réalise deux documentaires sur la suite de la crise, Mémoire d’un saccage en 2004 et La Dignité du peuple en 2006, tandis que Marcelo Piñeyro propose Kamchatka en 2002 et El método en 2005.
De nouveaux cinéastes sont à suivre comme Marco Berger, qui porte un regard intéressant sur l’homosexualité, Julia Solomonoff dont le très réussi El último verano de la Boyita, primé à Toulouse (voir l’article dans les pages cinéma), sortira en septembre ou Juan José Campanella dont El secreto de sus ojos vient d’obtenir l’Oscar du meilleur film étranger.



Alain Liatard

Conversation avec Emilio Paccul

Rencontre avec Emilio Paccul


A l’occasion de la projection de « Héros fragiles » en avant-goût du festival Documental qui se déroulera du 3 au 8 mai, nous avons demandé à Emilio Paccul, son réalisateur né au Chili, de nous expliquer comment il avait conçu son documentaire.
Emilio Paccul n’est pas un débutant. Sous l’Unité populaire, après des études de sociologie, il s’est inscrit dans la nouvelle école de cinéma. Cela lui permet de devenir l’assistant de Costa-Gavras qui tourne au Chili « État de siège » en 1972. Il le suit à Paris en 1973 pour s’inscrire à l’école de cinéma, l’IDHEC (qui est devenue aujourd’hui la Fémis), dans la section image.
Après sa sortie de l’École, il sera, en France, l’assistant de Costa-Gavras à nouveau, de François Truffaut et d’autres.
Il réalise son premier film, un film de fiction très personnel « Terre sacrée », en 1988, puis de nombreux documentaires, en particulier pour ARTE.

Au moment de la sortie de « Héros fragiles », en mai 2007, il avait déclaré : « C’est un film historique, politique, sentimental. Je connais mes propres sentiments sur cette histoire. Je connais aussi la plupart des personnages que je vais rencontrer au cours de mon tournage. Je sais que la confrontation de ma subjectivité au réel fera émerger quelque chose de nouveau ».
Pour lui, le documentaire, même s’il est une enquête, implique la subjectivité car il n’est pas possible de faire un film froid et impartial. L’auteur doit s’investir dans son projet.
« Héros fragiles » interroge des témoins du coup d’état de 1973. Au moment de l’attaque de la Moneda, le palais présidentiel, Augusto Olivares, beau-père du réalisateur, et conseiller de Allende va se donner la mort, peu avant le Président.
« Il y donc interaction entre les sentiments et les regards, et il m’a fallu plus de 30 ans pour pouvoir remonter à cette époque afin d’en tourner un film ».
Pour ce faire, il a utilisé un fil conducteur : le réalisateur est présent à l’image avec un cahier sur lequel il a collé des photos. « Cela me permets de faire un lien entre réalité et fiction à travers un certain voyage intérieur ».
Dans son film, il va interroger non seulement sa mère, les amis de son beau-père, des militants de l’Unité populaire, mais aussi des responsables de la chute du régime, militaires, conseillers états-uniens ou grands patrons. Comment s’y prend-t-il à ce moment-là ?
« Il faut être patient, écouter » Pour l’interview du patron des patrons, la rencontre a duré plus de deux heures, mais le personnage ne s’est vraiment découvert que vers la fin de la rencontre. Certains entretiens n’apportent que des banalités et n’ont pas été conservés. Pour avoir de bons entretiens, il faut que les personnes aient « le goût de vivre, de la vitalité et du talent. »
« Le complot,dit-il, annonce la fin de l’utopie et le début d’un monde uniformisé, lisse, un monde sûr pour les puissants et fragile pour les faibles, un monde dominé par l’hégémonie de l’économie sur l’humain ».
Vers la fin du film, le réalisateur va à la Moneda accompagné de sa fille âgée d’une vingtaine d’années. Il a filmé cette scène parce qu’il voulait montrer le regard d’une jeune fille sur les événements passés.
Pour lui, elle représente, à coté des amis de l’époque, la notion de l’héritage, de ce qu’il reste de cette époque, du recul qu’elle peut avoir sur l’Histoire.
Avec « Héros fragiles », nous voyons que le documentaire n’est pas une simple copie de la réalité. C’est une manière de l’analyser et de la mettre en scène. Filmer n’est jamais innocent, c’est toujours un point de vue.

Alain Liatard

Dans ses yeux, oscar à Hollywood

Un film argentin remporte un Oscar à Hollywood

Alors que Le Ruban blanc de Michael Haneke et Un prophète de Jacques Audiard étaient favoris pour l’Oscar du meilleur film étranger 2010, c’est l’Argentin Juan José Campanella qui a remporté la fameuse statuette pour Dans ses yeux (El secreto de sus ojos).
Il s’agit d’une coproduction argentino-espagnole, avec un réalisateur et des acteurs, comme Ricardo Darin, argentins.
Campanella, déjà nominé en 2004 pour Le Fils de la mariée (El hijo de la novia), réside depuis plusieurs années en Californie où il réalise des séries télévisées. Il a reçu le prix des mains de Pedro Almodovar qui a ironiquement remercié l’Academy de ne pas avoir considéré le Na'vi (langue imaginaire inventée pour le film Avatar) comme une langue étrangère. Dans ses yeux, qui a obtenu un grand succès en Argentine et en Espagne, sortira en France début mai.
Le film, à mi-chemin entre film noir et drame sentimental, dépeint le traumatisme de Benjamin après un crime qui s’est déroulé 25 ans auparavant. Ce policier, aujourd’hui à la retraite , veut écrire un roman à partir de cette enquête et parcourir à nouveau ce passé rempli d’amour, de mort et d’amitié…Il va surtout en discuter avec la juge chargée de l’affaire à l’époque, et dont il était secrètement amoureux.
Ricardo Darin donne vie au personnage, même si le maquillage, puisque le film se déroule sur deux époques, n’est pas toujours réussi. Mais les dialogues très bien enlevés, rendent agréable le récit.
Voici un polar qui parler de fascination et d’amour fou. Il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre , mais d’un film bien écrit et plaisant à regarder. Il vient, aussi, de remporter le grand prix du festival du film policier de Beaune.

Biarritz 2009

Biarritz 2009, le festival des nouveaux cinéastes latinos



Le 18e Festival Biarritz Amérique latine – cinémas et cultures – s'est déroulé du 27 septembre au 4 octobre devant un nombreux public. Ce festival comprend des rencontres universitaires et littéraires ainsi qu'un village avec expositions de photos et peintures, artisanat et concerts, mais il était axé cette année plus particulièrement sur le cinéma.

Trois compétitions : l'une consacrée aux longs métrages de fiction, la deuxième aux courts métrages et la troisième aux documentaires. Parmi les dix longs métrages, on peut retenir El Cuerno de la abundancia ("la corne d'abondance") qui est le 6e film du Cubain Juan Carlos Tabío, connu surtout comme le coréalisateur avec Tomás Gutíerrez Alea de Fresa y Chocolate et de Guantanamera. Ses premiers films étaient Se permuta (1983) et Plaff (1988). Dans ces films, la vie est agréable ; il y a à boire, à manger et les appartements sont confortables, même si la bureaucratie y est omniprésente, stupide et tatillonne. Vingt ans plus tard, tout va plus mal : La Havane est complètement dégradée et il n'y a plus beaucoup d'espoir. Quand on demande au réalisateur pourquoi le film est si noir, il répond : "l'art dépeint la réalité et lui renvoie sa propre image" mais qu'"il a cependant voulu faire une comédie parce que l'humour peut permettre au spectateur de réfléchir". Les spectateurs ont apprécié ce film (qui a remporté le prix du public) qui parle d'un éventuel trésor du XVIIIe siècle que les Castiñeiras se partageront s'ils arrivent à vaincre les nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin.

Au Nicaragua, une jeune fille des quartiers populaires, Yuma, veut échapper à la drogue et à la pauvreté en devenant boxeuse. Elle rencontre un étudiant qui l'attire mais leurs deux mondes sont trop différents. Cependant, elle découvrira l'univers du cirque. Venue du documentaire, Florence Jaugey, une Française qui vit au Nicaragua depuis une vingtaine d'années, a su trouver des interprètes non professionnels pour donner vie aux personnages de La Yuma. Dommage que le film ne figure pas au palmarès.

Dans une petite ville du Chili, d'un côté une clinique de chirurgie esthétique qui licencie et de l'autre, le centre commercial tout en verre. Des histoires personnelles vont s'imbriquer dans ces lieux. Il ne faut pas en dire plus. Ilusiones ópticas se déroule souvent sous la pluie, il est traité avec humour et plutôt bien interprété par sa ronde de personnages attachants. Le réalisateur, Cristían Jiménez, explique : "depuis que la société chilienne est dirigée par le pouvoir de l'argent, elle a perdu le sens de la solidarité".

La Nana, le second film chilien, est un peu le coup de cœur du festival. Catalina Saavedra a reçu le prix d'interprétation féminine et le réalisateur, Sebastián Silva, le prix du jury des jeunes Européens et le prix de la Critique. Il est sorti en France le 14 octobre. Raquel est la bonne des Valdes. Elle a élevé les enfants, délaissé sa famille et n'a rien d'autre au monde. Quand on décide de prendre une seconde bonne pour la décharger, Raquel tend des pièges aux nouvelles et les obligent à démissionner jusqu'au jour où arrive Lucy, jeune provinciale pleine d'humour… Le réalisateur connaît bien la réalité de ces familles nombreuses et égoïstes et de ces bonnes qui parfois y trouvent refuge et prison. S. Silva est un autodidacte, "peu cinéphile", dit-il, mais, peintre et auteur de bandes dessinées, il peut établir un scénario rigoureux et transmettre à ses collaborateurs ses idées de composition et de couleurs.

La Sangre y la lluvia de Jorge Navas est un thriller nocturne violent. Ce portrait de Bogotá pluvieuse dévoile l'anxiété, les passions et les souvenirs mais est vraiment trop stéréotypé.

L'autre film colombien, la Pasión de Gabriel, se passe dans un village de montagne, accessible par une passerelle branlante. L'armée ne s'y aventure pas trop et la guérilla reste dans la montagne. Gabriel en est le curé au grand cœur ; il est amoureux et veut élever les villageois, mais se mêle un peu trop de tout. Ce film de Luis Alberto Restrepo est lui aussi un peu trop stéréotypé même s'il montre assez bien une Colombie rurale avec sa pauvreté et ses passions politiques.

Los Paranoicos de Gabriel Medina (Argentine) suit les tribulations de Luciano, un écrivain qui remanie sans arrêt son premier scénario. Il a deux amis, l'un qui est à l'hôpital et le jovial Manuel qui revient d'Espagne avec Sofia que Luciano hébergera quelques jours. Daniel Hendler, le merveilleux interprète de Whisky, tient honnêtement le rôle de Luciano qui lui a valu le prix d'interprétation masculine. Le jury ne s'est pas arrêté là et a décerné à ce film sympathique mais un peu mou, son prix.

Le prix du meilleur long métrage est allé à Cinco días sin Nora de la Mexicaine Mariana Chenillo. Nora, juive pratiquante, vient de se suicider. Cependant la vieille dame avait préparé sa veillée funèbre afin d'obliger son athée d'ex-mari à accomplir ses dernières volontés. Mais la religion juive est très rigoureuse et réservée à l'égard des suicidés. Plutôt bien réalisée et bien interprétée, cette première œuvre aborde un sujet très proche de la réalisatrice. L'humour – revendiqué dans la plupart des films – donne du tonus à ce récit.

Du côté des courts métrages, la sélection était très inégale. Il faut retenir le grand prix, Distancias, de Matías Lucchesi (Argentine), histoire d'un gamin qui disparaît lorsque la voiture de ses parents, qui disputent, s'arrête. Sans oublier El Hombre muerto, beau film uruguayen en noir et blanc de Julián Goyoaga, ni le plus rebelle de la sélection, Espalhadas pelo Ar (prix du jury des jeunes Européens), réalisé au Brésil par Vera Egito.

Du côté des documentaires, le grand prix Union latine et le prix du public sont allés à Mi vida con Carlos (Chili-Espagne) de Germán Berger Hertz, qui retrace le voyage d'un fils à la recherche de son père et aussi l'histoire d'un pays qui ne veut plus se souvenir. Des mentions ont été attribuées à Los que se quedan (Mexique) de Juan Carlos Rulfo et Carlos Hagerman sur les familles des émigrés mexicains et à La Chirola (Bolivie-Cuba) de Diego Mondaca qui trace en 26 minutes le portrait d'un ex-guérillero qui, à sa sortie de prison, se réadapte grâce à ses chiens.

À côté des 15 films en compétition se tenaient les rencontres professionnelles de documentaristes latins organisées par l'Union latine sur lesquelles nous reviendrons.

Un évènement : la projection de La Passion de Jeanne d'Arc, film muet de 1927, réalisé par Carl Dreyer, avec une musique adaptée de la partition d'époque de Léo Pouget et Victor Allix (version avec chœur) par le chef argentin Santiago Chotsourian qui dirigeait l'Orchestre régional Bayonne / Côte Basque. L'occasion pour de nombreux spectateurs de découvrir ce chef d'œuvre.

Depuis l'an dernier, la sélection est consacrée essentiellement aux nouveaux réalisateurs. Il nous reste l'envie de voir les films les plus récents des auteurs latino-américains confirmés qui nous ont fait connaître la diversité de ce sous-continent… et ont contribué à l'essor de ce festival convivial.

Alain LIATARD

Festival: Cinema d'Amerique latine. Toulouse 2010

Les 22es Rencontres Cinémas d'Amérique latine de Toulouse, qui se sont déroulées du 18 au 28 mars, ont proposé plus de 200 films de genres et de formats différents (longs et courts métrages, fictions, documentaires, rétrospectives), accompagnés de rencontres et de débats.

Parmi les films inédits en compétition que nous avons vus, citons Agua fria de mar de Paz Fábrega (Costa Rica). Sur la côte pacifique, Mariana accompagne son mari qui participe à un projet touristique. Elle rencontre sur la plage une petite fille qui lui raconte sa vie à sa façon puis disparaît. Mariana, très perturbée, cherche à retrouver l'enfant. De belles images de plages et de forêts, une petite fille qui vit sa vie et une jeune femme paumée, tout cela ne suffit pas à faire un film mêlant critique sociale et psychologie du couple.

Alamar de Pedro González Rubio (Mexique) : un jeune enfant qui vit en Italie avec sa mère vient passer ses vacances au bord de la mer des Caraïbes avec son père et son grand-père dans une maison sur pilotis, près d'un banc de corail peu protégé. L'enfant de la ville va découvrir la nature et la vie simple de ces pêcheurs. Plaidoyer pour la protection du milieu naturel, le film manque d'éléments narratifs plus développés pour être vraiment réussi, mais a obtenu le prix de la presse de la première œuvre (Fipresci).

Turistas de Alicia Scherson (Chili) : après une dispute avec son mari sur la route des vacances, une jeune femme se retrouve seule, avant de rencontrer un touriste norvégien qu'elle accompagne dans un camping en pleine nature. Cette retraite lui permettra de faire le point sur sa vie parmi des gens plutôt étranges alors que la modernité se rapproche. Alicia Scherson – qui avait réussi il y a quelques années Play (2005) – est aussi la scénariste de Ilusiones ópticas (2009), deux films urbains. À découvrir lors de sa sortie.

Viajo porque preciso, volto porque te amo, de Karim Aïnouz et Marcelo Gomes (Brésil), se déroule dans les lieux déserts du sertão (nord-est du Brésil). José, un géologue, fait des relevés en vue du percement d'un canal qui pourra apporter vie pour les uns, mais aussi obligation de quitter leurs terres pour les autres. En fait, José a accepté cette mission parce que son amie, botaniste, l'a quitté. Grâce à l'utilisation de différentes techniques (vidéo, super 8, photos, etc.), ce film devient un road movie onirique qui le rend aussi énigmatique que captivant. Il obtient le Grand Prix Coup de cœur des 22e Rencontres. Karim Aïnouz est connu depuis Madame Satã (2002), un très beau film sur un travesti. Marcelo Gomes est également le réalisateur d'un long-métrage intéressant, Cinéma, Aspirines et Vautours (2004), histoire d'un vendeur ambulant qui assurait sa publicité en projetant des films.
Le prix du public "Intramuros" a récompensé deux films (ex aequo) : El hombre de al lado de Gastón DUPRAT et Mariano COHN (Argentine) et El último verano de la Boyita de Julia SOLOMONOFF (Argentine). Ce dernier film, aussi troublant que sensible, porte sur l'ouverture à la sexualité et à la notion de normalité dans ce domaine. À voir absolument lors de sa sortie en septembre.
La compétition Découvertes concernait des premiers ou seconds longs métrages. On peut dire qu'il s'agit d'un cinéma en émergence, fait avec peu de moyens et en numérique. Le prix de cette section est allé à El vuelco del cangrejo de Oscar Ruiz Navia (Colombie).

Le prix "Court toujours" a été attribué au court métrage El reino animal de Ruben Mendoza (Colombie). D'autres courts métrages ont été remarqués : Marina la esposa del pecador de Carlos Hernández (Colombie), Teclópolis, animation, de Javier Mrad (Argentine), Adieu Général, animation réalisée sur téléphone portable, de Luis Briceno (Chili).

Le jury des documentaires a récompensé le lyrique Quebradeiras de Evaldo Mocarzel (Brésil), sur la vie des femmes, très politisées, cueilleuses de noix de babaçu, variété poussant naturellement à la lisière de la forêt amazonienne.

Les Rencontres sont également riches par leurs panoramas des films déjà présentés dans des festivals ou distribués au cours de l'année : Hiroshima, le dernier film du réalisateur de Whisky, Pablo Stoll (Uruguay), La invención de la carne de Santiago Loza (Argentine), primé en 2009 à Cinéma en construction, La buena vida, le film choral de Andrés Wood (Chili), Gigante de Adrián Biniez (Uruguay), primé à Berlin en 2009, Rabia de Sebastián Cordero (Colombie-Espagne). Et la liste n'est pas exhaustive.

On attendait beaucoup de Molochs tropicaux du Haïtien Raoul Peck, tourné l'an dernier dans la citadelle du roi Christophe, qui relate la dernière journée au pouvoir de Jean de Dieu, despote du pays. Mais quelle n'a pas été notre déception ! Le réalisateur a voulu faire de ce tyran, copie du président Aristide, un personnage faible, machiste et coléreux, cependant digne d'une certaine sympathie. On est très loin de la personnalité complexe de l'horrible Janvier, personnage capital du premier film de Raoul Peck, L'Homme sur les quais (1992). Les personnages féminins, plus intéressants, ne sauvent cependant pas le film.

Les sections parallèles étaient consacrées au cinéma mexicain (films sur la Révolution et films contemporains), à la célébration du bicentenaire des indépendances d'Amérique latine et au cinéma LGBT (lesbien, gay, bi, trans).

Cette dernière section reprenait une dizaine de films. On peut se demander comment dans un sous-continent aussi machiste, l'homosexualité peut se vivre et se montrer. Les travestis du Brésil sont bien connus et ont été le sujet de la remarquable Madame Satã. Fraise et Chocolat montrait l'existence de l'homosexualité à Cuba en 1993 alors que le régime la niait. Les films réalisés aujourd'hui, que l'on projette dans leur pays d'origine plutôt dans les cinémathèques, sont réalisés par d'anciens étudiants en cinéma. D'une certaine manière, le Mexicain Carlos Regadas avait ouvert la voie avec Japón (2002), approche bien particulière de la sexualité : il relatait la rencontre d'un chemineau et d’une vieille paysanne. En revanche, le cinéma lesbien réalisé par des femmes n'existe, semble-t-il, pas encore. Cette section présentait aussi l'œuvre du cinéaste mexicain Julián Hernández. Dans la lignée de Reygadas, il filme de longs plans de désir où généralement les amants ne se parlent que rarement. Le problème, c’est que d’un film à l’autre le procédé se répète trop souvent. Les images sont très belles, mais assez vides même si elles se veulent pleines de désir.

L’Argentin Marco Berger, avec Plan B, film qui devrait bientôt sortir en France, s’intéresse aux rapports de séduction. Laura quitte Bruno pour Pablo. Pablo va alors tenter de séduire Bruno. On se croirait un peu dans un des Contes Moraux d’Éric Rohmer, mais Marco Berger manque sans doute de maturité pour rendre vraiment attachante cette histoire.

Cinéma en construction accueille des professionnels pour donner les moyens au réalisateur d'un film déjà tourné de le terminer. Le jury a choisi un film colombien Los colores de la montaña de Carlos César Arbeláez.

Une dizaine d’expositions complétaient la manifestation. Celle des graphistes mexicains mettait entre autres en avant les héros de la révolution de façon ludique (vus par Andres Mario Ramirez Cuevas), ou utilisait des phrases-chocs réinterprétées par Alejandro Mongallanes.

Les Rencontres 2010 étaient très riches. Dommage que l’on ne voie plus de films des cinéastes importants de ces dernières décennies, comme Littin ou Ripstein.


Alain LIATARD

Festival d'Animation d'Annecy 2010

50 ans de cinéma d’animation à Annecy
Le festival international du film d'animation d’Annecy (FIFA) fêtait du 7 au 12 juin son cinquantième anniversaire. À cette occasion, le festival a invité au bord du lac 50 réalisateurs primés à Annecy. Plus grand festival d’animation au monde avec ses 120 000 entrées, la fréquentation a encore augmenté cette année, créant pas mal de frustration même parmi les journalistes. Véritable marché pour les grands studios et les télévisions qui viennent recruter, le festival a un peu perdu de son âme d’antan… De plus, la langue utilisée est principalement l’anglais, ce qui enlève de la convivialité, malgré une bonne organisation.
Le palmarès longs métrages a fait la part belle au cinéma états-unien en choisissant deux fois Fantastic Mr Fox de Wes Anderson (Cristal – grand prix – et prix du public) oubliant un intéressant film nordique Metropia de Tarik Saleh. Côté courts métrages, le grand prix est allé à un très beau film poétique, The Lost Thing de Andrew Ruhemann et Shaunn Tan (Australie-Grande-Bretagne). Le prix spécial du jury, le prix UNICEF et le prix du public ont couronné Sinna Mann, émouvant film de Anita Killi (Norvège) sur la violence paternelle. Signalons aussi les mentions données à Les Journaux de Lipsett, douloureux portrait d’un cinéaste expérimental canadien par Theodore Ushev et le très drôle film turc Don’t go de Turgut Agacik. Les Français remportent une mention spéciale pour le long métrage Kerity, la maison des contes de Dominique Monféry ; le prix de la première œuvre va à Jean-François de Tom Haugomat et Bruno Mangyoku, et les prix de fin d’études aux écoles des Gobelins (Paris) et de La poudrière (Valence).
On ne trouve aucun film latino au palmarès, un seul étant en compétition, Teclópolis, beau film de 12 minutes de Javier Mrad (Argentine) sur la prolifération des déchets informatiques : claviers, souris, disquettes… qui créent une ville futuriste.
L’Argentine était le pays invité. Nous avons pu voir une sélection des films d’animation de ces dernières années montrant l’originalité d’univers imaginaires comme le très beau L’Homme sans tête de Juan Solanas, réalisé en France et primé à Cannes en 2003, un programme sur l’animation publicitaire, deux longs métrages déjà présentés à Annecy, Boogie, el aceitoso de Gustavo Cova (toujours inédit en France) et Mercano, el marciano de Juan Antin (sorti discrètement) et un programme sur les "mondes fantastiques" de Juan Pablo Zaramella. L’œuvre très personnelle de ce cinéaste utilise toutes les techniques de l’animation : dessin, papier découpé, pâte à modeler et accélération d’images réelles. Il a remporté de nombreux prix avec son Viaje a Marte ("Voyage sur Mars") en 2004 et avec sa petite nonne de Lapsus en 2007. Il participe actuellement à un long métrage Ánima Buenos Aires. Une entente de coproduction entre l’Office national du film du Canada et l’Argentine, comportant un apport financier et technique a été signée durant le festival pour produire un court métrage d’animation argentin. "Ce cinéma est en pleine effervescence, a déclaré Monique Simard, directrice du programme français. Il fait preuve de beaucoup d’inventivité. Nous sommes donc heureux de participer à son développement."
Du Mexique, le très intéressant Carlos Carrera revient au cinéma d’animation et nous a présenté les premiers dessins de son prochain long métrage, Ana, l’histoire d’une petite fille de 9 ans.
De Colombie, Los extraños presagios de León Prozak décrit un personnage qui loue sa tête à Méphistophélès. Carlos Santa utilise de nombreuses techniques graphiques proches du cinéma expérimental. Le film est trop long et trop touffu.
Seuls les longs métrages de grands pays producteurs ont une chance de sortir sur les écrans. Les courts pour adultes passent parfois, mais discrètement, à la télévision et souvent au milieu de la nuit. L’Agence du court métrage en diffuse quelques uns dans les salles d’art et essai. Mais seul un festival comme Annecy permet de se faire une idée de la création actuelle mondiale et des avancées technologiques.
Le cinéma en 3 D était présent (avant-premières de Shrek 4, il était une fin et de Toy story 1 et 2), et le festival envisagerait une section 3 D pour l’an prochain. De toute façon, il y aura encore 500 films à voir et aussi plus d’un millier d’étudiants d’écoles d’art pour créer de l’ambiance. Rendez-vous pour Annecy 2011 !
Alain Liatard

Cannes 2010

CANNES 2010

Cette année, le Festival paraissait un peu morose, et le temps était souvent médiocre.
Il faut dire que nombre de cinéastes dont nous attendions beaucoup n’ont pas présenté leur meilleur film que ce soit Bertrand Tavernier, Takeshi Kitano, Abbas Kiarostami, Daniele Luchetti, et même Ken Loach. Les deux anciens Manoel De Olivera (102 ans) et Jean-Luc Godard (80 ans) étaient fidèles à eux-mêmes. La Palme d’or décernée à un film thaïlandais Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures a surpris, le réalisateur Apichatpong Weerasethakul n’étant connu que de quelques cinéphiles.
Les cinéastes français s’en tirent bien. Mathieu Almaric nous a présenté sa rigolote Tournée de strip-teaseuses américaines (le film est actuellement dans les salles) et Xavier Beauvois le dramatique Des hommes et des dieux sur des moines assassinés en Algérie en 1996. Ces deux films sont logiquement au palmarès.
Côté cinéma latino-américain le nombre et la qualité étaient au rendez-vous. Pas moins de sept films étaient en compétition officielle. Biutiful, le denier film du cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu, se déroule à Barcelone. Il raconte la descente aux enfers d’Uxbal (magnifique Javier Bardem qui a obtenu le prix d’interprétation ex aequo pour son rôle), qui vit de l’émigration africaine (vente à la sauvette de contrefaçons) et chinoise (ateliers clandestins et travail au noir). Il exerce aussi dans les chambres funéraires en communiquant avec les morts. Un jour, il découvre qu’il a un cancer de la prostate. Cela ne va pas simplifier sa vie familiale, déjà bien compliquée. Ce film marque pour le cinéaste une certaine rupture par rapport à ses trois précédents écrits par Guillermo Arriaga. Ici, le récit linéaire se déroule dans une Barcelone grise et pauvre. Il suit l’errance de cet homme perdu, seul face à ses souvenirs et ses angoisses et qui s’enfonce de plus en plus dans le désespoir. "'C’est un homme, dit Javier Bardem, qui intériorise beaucoup ses sentiments. En tant qu’acteur, j’ai voulu montrer qu’Uxbal a connu la corruption, l’exploitation. Il ne veut pas perdre l’amour, ni son dernier souffle de santé. Mais la vie va le pousser dans une autre direction." La sortie du film en France est prévue fin août 2010.
Un nouveau documentaire de Patricio Guzmán est toujours très attendu. Dans Nostalgia de la luz, il s’intéresse comme toujours à la mémoire et au temps. Cette fois, il le fait à partir des observatoires d’astronomie installés dans le désert d’Atacama (Chili). "Mais ce désert est aussi, précise Patricio Guzmán, une véritable porte ouverte vers le passé : il y a des momies, des minéraux rares, des restes d’explorateurs et des corps des disparus de Pinochet. Et tout d’un coup, j’ai compris qu’il y avait là un monde de métaphores. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire le film." Guzmán se tourne vers l‘espace et l’avenir (les étoiles), mais aussi vers ce passé douloureux où le prix de l’indépendance, célébrée cette année, fut celui du sang. Un de ses précédents films s’appelait d’ailleurs La Mémoire obstinée. On pourra voir Nostalgia de la luz en novembre.
Abel est le premier film du comédien mexicain Diego Luna qui commença sa carrière avec Gael Garcia Bernal dans Y tu mama tambien, le premier film d’Alfonso Cuarón. Faute de place dans la salle archi-bondée, je n’ai pas pu voir cette comédie familiale que l’on nous dit sympathique.
5 x favela, por nos mismos (Brésil) est le résultat d’une belle expérience menée par le réalisateur Carlos Diegues. Dans les favelas du nord de Rio, il a créé des ateliers de cinéma. Au bout de quelques années, il a décidé de faire réaliser un film avec de réels moyens professionnels. C’est ainsi qu’ont été choisis sept jeunes réalisateurs pour réaliser cinq histoires à partir de leur propre vie à la favela. La première histoire est celle d’un jeune admis à l’université de droit, qui doit trouver de l’argent pour payer son bus et ses livres. Une autre raconte l’histoire d’un fils qui en a assez de manger du riz et des fayots, et qui veut acheter un poulet… Le film mêle comédie et tragédie loin des stéréotypes de violence des films brésiliens qui se déroulent dans les favelas.

La section Un certain regard présentait trois films latinos.
Carancho de Pablo Trapero (Argentine) parle d’un phénomène typique des grandes villes argentines, les accidents de voiture meurtriers. Ils font la fortune des réseaux mafieux qui engagent des avocats véreux attendant les blessés graves à l’entrée des hôpitaux pour faire signer aux familles des contrats leur donnant tout pouvoir auprès des assurances et obtenant des indemnités qu’ils mettent pour une grande part dans leurs poches. Sosa, surnommé "le Rapace" (remarquable Ricardo Darín, le héros de Dans ses yeux), tombe amoureux d’une jeune urgentiste droguée qui va finalement succomber à ses avances et préparer avec le bel avocat une opération qui doit leur procurer un beau magot. Trapero nous présente ici un thriller maîtrisé plus qu’un film social comme l’étaient Leonora, son film précédent, ou Voyage en famille en 2004.
Los labios est un film argentin coréalisé par Santiago Loza (39 ans) et Ivan Fund (25 ans). C’est leur troisième collaboration. Trois travailleuses sociales sont envoyées en mission dans une région désolée d’Argentine. Elles logent dans un ancien hôpital en ruine. Dans cette région, l’eau est polluée, les enfants souffrent de malnutrition. Petit à petit, elles arriveront à se fondre dans cette communauté laissée au bord de la route. Filmé au plus près des corps, le film ressemble d’abord à un documentaire, avant de s’échapper du réalisme pour s’ouvrir aux sentiments. L’interprétation des trois actrices est parfaite.
Octubre des frères Daniel et Diego Vega est un très beau premier film. Clemente est l’usurier de son quartier comme l’était déjà son père. Il fréquente une voisine très pieuse et aussi des prostituées. L’une d’elles, un jour d’octobre alors que l’on promène dans les rues la statue du Seigneur des miracles, dépose devant sa porte un bébé. La vie de Clemente va en être bouleversée. Un film réalisé par une fratrie (les Taviani, les Coen, les Dardenne) offre toujours une alchimie heureuse qui débouche ici sur l’humour (l’usurier recevant ses clients avec un bébé affamé sur ses genoux) et évite un récit mélodramatique. Après Fausta l’an passé, c’est avec bonheur que l’on parle à nouveau du cinéma péruvien.
- Voir l’interview ci-après.

La Quinzaine des réalisateurs avait sélectionné quatre films.
La mirada invisible (Argentine) est l’histoire de Maria Teresa, une jeune surveillante embauchée au Lycée national en 1982, au moment de la décadence du régime militaire et juste avant le déclenchement de la guerre des Malouines. Elle sera une employée zélée, l’œil invisible qui voit tout. Ingénue, elle observe ce monde qui l’entoure, mais n’a pas conscience de sa réalité. Nous ne sortons pas du lycée, mais nous entendons la contestation au-dehors. C’est la première fois que Diego Lerman aborde la période de la dictature, après deux très beaux films contemporains, Tan de repente (2002) et Mientras tanto (2006). Il fut emballé par Sciences sociales (éditions du Seuil), le roman de Martin Kohan qui sera présent en octobre à Belles Latinas. Ce livre lui permettait de réaliser une fable morale sur fond de dictature, à travers un personnage étranger au contexte, sexuellement réprimé et en quête de lui-même.
La casa muda de Gustavo Hernandez est un curieux film uruguayen , tourné en un seul plan. Une jeune fille et son père arrivent de nuit pour visiter une maison à vendre. Entendant du bruit, le père monte à l’étage et disparaît. La jeune fille est poursuivie à travers la maison. Inspirée d’une affaire réelle, jamais élucidée, cet agréable film d’épouvante n’est pas complètement abouti, l’aspect technique demandant sans doute trop de moyens.
Somos lo que hay de Jorge Michel Grau (Mexique) est aussi un film de genre. Nous sommes dans une famille de cannibales. Le père, qui approvisionnait la famille en prostituées vient à mourir. Le fils ainé, sans expérience, doit prendre la relève, mais il ne rencontre que des homosexuels, que la famille refuse de dévorer ! "Je veux faire voir, déclare le réalisateur, sentir et même goûter la désintégration de la cellule familiale, la violence urbaine, la dévastation sociale, la lutte sans merci que se livrent les minorités pour survivre et se faire entendre… C’est aussi pour moi un moyen de me débarrasser de la violence." On comprend donc que le film est une fable sur la société, mais pas encore vraiment réussie. Ce sera pour le prochain film.

Revolucíon est une série de dix courts métrages mexicains, réalisés à l’occasion de l’anniversaire de la guerre civile en 2010. Il s’agit pour les réalisateurs de montrer ce qu’il reste aujourd’hui de l’Histoire. Par exemple, pour F. Embcke, un joueur de tuba prépare toute la nuit le morceau qu’il jouera avec la fanfare du village lors de la venue d’un personnage politique ; pour A. Escalante, un très jeune couple rencontre un curé pendu par les pieds ; pour C. Reygadas, une réunion familiale tourne plutôt mal… L’ensemble est assez inégal, mais le point de vue intéressant et souvent drôle.
Parmi les quatre courts métrages en compétition officielle, le meilleur était Rosa de Monica Lairana, le portrait d’une femme déjà âgée, hantée par la sexualité. On peut aussi citer Maya de Pedro Pío Martín Pérez (Cuba), filmant la préparation d’un chien de combat.

Terminons par Año Bisiesto, sorti mi-juin, qui a obtenu le prix de la Caméra d’or, décerné au meilleur premier film, toutes sections confondues. Il est réalisé par un cinéaste australien, Michael Rowe, qui vit au Mexique depuis seize ans et qui est aussi auteur de théâtre. Laura, une jeune femme d’origine indienne, accepte une relation sado-maso pour garder son amant. D’après son auteur, "ce film décrit les rapports de pouvoir entre un homme et une femme, mais à bien des égards, c’est aussi une métaphore sur la dichotomie complexe entre bourreau et victime qui se situe, je pense, au cœur même de l’identité nationale mexicaine. Être né ailleurs me donne un certain recul vis-à-vis de la société mexicaine, dont peu de Mexicains jouissent". Tout se passe dans l’appartement de Laura parce que "le foyer est une métaphore de l’âme. Je voulais que le sexe ait l’air réel, mais qu’il soit complètement dénué d’érotisme. Les plans larges et l’absence de mouvements de caméra n’étaient pas là pour ôter tout romantisme ou érotisme à l’action. J’ai simplement voulu montrer l’acte tel qu’il est".
Cette année, le cinéma latino était très bien représenté. Il repart avec deux prix. Bien sûr, les films argentins et mexicains ont dominé, mais nous avons apprécié aussi les films chiliens, uruguayens ou péruviens. Je crois que c’est une très bonne année pour le cinéma latino.

Alain Liatard

10 mars 2009

Brêves espagnoles 2009


En 2009 deux films espagnols sont particulièrement attendus, Los abrazos rotos, le 17é film de Pedro Almodovar dont nous savons peu de choses sinon qu’il s’agit d’un « drame obscur mâtiné de thriller autour d’un grand récit romantique à 4 voix » (www.pedroalmodovar.es) et la superproduction d’Alejandro Amenabar, Agora.Telecinco, le producteur, vient de mettre en ligne la bande-annonce (www.telecinco.es) de ce deuxiéme film tourné en anglais après Los otros (2001).
L’action se déroule à Alexandrie en 391 après J.C. C’est l’histoire d’Hypathie (Rachel Weisz), première femme astronome et philosophe d’Occident, enfermée dans le Bibliothèque en train de se battre pour sauver la sagesse du monde antique.
Après trois ans de recherche et 15 semaines de tournage, le cinéaste de Tésis (1996), d’ Abre los ojos (1997) et de Mar adentro (2004) « veut que le public voie, sente, respire cette lointaine civilisation comme une chose aussi réelle que le présent. »
Le film devrait sortir à l’automne. Attendons.

05 janvier 2009

Biarritz 2008


Un « abrazo » de Biarritz 2008

Le festival de cinémas et cultures latino-américaines s’est terminé le 5 octobre dernier sous le soleil.
La partie cinéma comportait un important volet consacré au cinéma documentaire avec une rétrospective des 10 films primés ces dernières années et 14 documentaires en compétition. On peut retenir en particulier le grand prix « Entre a luz e a sombra » un très long film de 2h37 sur les prisonniers de Carandiru (Sao Paulo) qui suivent des cours de théâtre et créent un groupe de rap qui porte le nom de leur cellule, ainsi que « La matinée » de Sébastian Bednarik (Uruguay) sur une « Murga » (théâtre musical satirique) qui se déroule pendant le carnaval, interprétée par des septuagénaires.
Côté courts métrages, il faut retenir « Oigo tu grito » (Paraguay) , un plan fixe de 12 minutes par Pablo Lamar, « Ofelia » (Pérou), la rencontre d’une petite fille et d’une poupée sur un affluent de l’Amazone, « Café con leite » (Brésil), la difficile relation entre un couple de jeunes hommes et le petit frère de l’un d’eux. Enfin, « El deseo » (Mexique) de Marie Benito, « Abrazo » du court métrage, raconte le réveil du désir chez une femme de la cinquantaine suite à l’abandon de son mari.
La compétition long métrage mettait surtout l’accent sur la découverte de nouveaux talents à côté de quelques cinéastes déjà connus.
« Cyrano Fernández » d’Alberto Arvelo (Venezuela). Dans les « barrios » de Caracas, Cyrano ne pense qu’à faire régner l’ordre et le bien. Pour un ami, il écrit des lettres d’amour à celle qu’il aime en secret…. C’est une drôle d’idée d’adapter Cyrano de Bergerac au monde d’aujourd’hui. Cette façon de mêler lettres d’amour, désir de paix et de violence n’est pas vraiment crédible. Par contre, le film vaut par sa manière de filmer les bidonvilles de Caracas.
« Paisito » d’Ana Diez (Uruguay- Espagne). Nous sommes à Montevideo en 1973. Deux enfants Rosana et Xavi sont amis : l’une est la fille du chef de la police, l’autre, fils d’un émigré espagnol. Juste avant le coup d’Etat, le chef de la police est enlevé par les Tupamaros et disparaît. Vingt ans plus tard, en Espagne, Rosana va retrouver Xavi, footballeur en fin de carrière. Pour son premier film de fiction, la réalisatrice a réussi une œuvre sensible et tendre même si elle parait par moment un peu invraisemblable. A découvrir.
« Os desafinados » de Walter Lima Jr (Brésil). 1962, des jeunes créent un groupe de bossa-nova et vont tenter de faire fortune à New-York. Nous suivons ces musiciens, un cinéaste et leur rencontre avec une chanteuse compatriote, le retour au pays où l’espoir a laissé la place à la tristesse depuis le coup d’Etat, et où le voisin, l’Argentine est au bord de la dictature. Beaucoup de bossas-novas, un extrait d’un des premiers films du réalisateur qui fut aussi assistant de Glauber Rocha pour « Le dieu noir et le diable blond », un film, basé sur des faits réels, où l’on se laisse porter.
« Estómago » de Marcos Jorge (Brésil-Italie). Raimundo travaille dans un petit restaurant où il est remarqué par un Italien qui va lui apprendre la grande cuisine. Lorsqu’il se retrouve en prison, il comprend qu’il y a ceux qui mangent et ceux qui se font manger. L’originalité du film, qui est presque une comédie, est qu’il se déroule en grande partie dans une prison où règnent surpopulation et promiscuité. Prendre alors le pouvoir est primordial. Un beau premier film.
« Incómodos » d’Esteban Menis (Argentine) n’a pas le talent des films de Maria Victoria Menis. Voici le voyage « grotesque » de trois personnes vers Miramar. S’il nous a laissé insensible, la salle semblait souvent participer.
« Cosas insignificantes » premier film d’Andrea Martínez (Mexique). Le film tourne autour du coffret que possède la jeune Esmeralda qui contient des choses sans valeur. Cette boîte nous permet de croiser plusieurs personnages autour d’un vieux pédiatre, un médecin, un photographe, une bourgeoise et son fils malade… Le film a obtenu le prix du public pour son aspect touchant et sensible. Mais il est un peu trop fabriqué pour que l’on croie vraiment à cette incommunicabilité entre les êtres.
« Dioses » de Josué Méndez (Pérou) à qui l’on devait, en 2004, le très beau « Días de Santiago », disponible en DVD. Le film raconte une histoire de famille dans la société huppée de Lima. Evidemment, ils vivent dans une bulle loin du monde social ou économique. Le film a obtenu l’« Abrazo » du meilleur long métrage. On peut se demander pourquoi le jury a retenu ce film mal joué, où le réalisateur n’aime pas ses personnages, à moins qu’ils ne le fascinent.
« La buena vida » d’Andres Wood (Chili). Le réalisateur du célèbre “Machuca” (2004) revient à un sujet contemporain. Edmundo, jeune clarinettiste voudrait rentrer à la philharmonique mais se retrouve dans une fanfare militaire. Teresa, qui travaille au planning familial, vit mal son divorce et le fait que sa fille de 15 ans vienne de tomber enceinte. Mario a quarante ans et est coiffeur comme son père. Il vit chez sa mère et voudrait acheter une voiture. Ces personnages ne se connaissent pas même si parfois ils se croisent dans la rue ou dans le bus. Le film a obtenu les prix d’interprétation masculine et féminine. Les personnages sont fouillés, intenses et les acteurs les font très bien vivre. Un film sur lequel nous reviendrons au moment de sa sortie en salles.
« La rabia » d’Albertina Carri (Argentine). Dans la pampa, s’affrontent deux hommes, Poldo dont la petite fille est muette et le fermier Pichon, père violent qui a importuné la petite fille. Les coups de feu partent très facilement. Les relations entre le sexe, « la petite mort » (L’orgasme) et la violence sont omniprésentes. Après « Geminis » (2005), le film a sensibilisé le jury des jeunes Européens qui lui a accordé son prix.
« Perro come perro » de Carlos Moreno (Colombie). A Cali, à la suite d’un cambriolage qui a mal tourné, Victor et Eusebio attendent dans une chambre d’hôtel minable les ordres d’El Orejón pour retrouver le magot… A partir d’un sujet de thriller, le film, même s’il est un petit peu violent – violence plus suggérée que montrée d’ailleurs- est en fait très drôle avec ce parrain qui utilise les cultes vaudous et les maléfices pour mener ses affaires, avec ces morts qui reviennent hanter les vivants. Une bonne surprise.
Le festival mettait aussi l’accent sur le cinéma uruguayen qui s’est développé depuis le début des années 2000.Il était possible de voir « Masangeles » de la douée Béatriz Flores Silva, « Estella del sur » ou « La perrera », ainsi que les reprises de « Whisky » et « 25 watts ».
Le festival a proposé un ciné concert sur un film muet argentin « Expedición Argentina Stoessel », l’épopée de deux frères qui décident de relier Buenos Aires à bord d’une chevrolet, en 1929 : Traverser des montagnes, des fleuves, se diriger là où il n’y a pas de routes. Une belle histoire mise en musique par le compositeur argentin Santiago Chotsourian accompagné de onze musiciens de l’orchestre régional Bayonne-côte-Basque.
En clôture, était présenté le dernier film de Daniel Burman « El nido vacío », moins riche que « Esperando al Mesías » malgré une belle interprétation. Le film évoque la vie d’un couple de quinquagénaires dont la maison se retrouve vide après le départ de leurs enfants. Si Martha réagit en s’inscrivant à l’université, Leonardo, dramaturge à succès se replie sur lui-même et entreprend un voyage onirique vers ses désirs.
Cette année, la section cinéma s’était dotée d’un nouveau sélectionneur, Jean Christophe Berjon, responsable de la semaine de la critique à Cannes que nous avons interrogé et qui a mis l’accent sur les nouveaux talents de l’Amérique Latine.

Question : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au cinéma latino-américain ?
Réponse : D’abord des liens familiaux, puisque je suis marié avec une Mexicaine et que je vis beaucoup là bas. Quand on s’occupe des films à Cannes, on voit 800 films du monde entier et on n’a pas le temps d’approfondir un continent en particulier. Avant, pour moi, ce cinéma était flou, j’ai envie de le redécouvrir. Je suis intéressé de connaître le patrimoine, les racines, le passé précolombien, l’aspect religieux des cultures latino-américaines et aussi le rejet de la philosophie nord-américaine. En Amérique latine, il y a beaucoup de nouveaux cinéastes, plus que partout ailleurs. C’est une forme de cinéma qui explose depuis quelques années. Il est de notre devoir et de celui du festival de Biarritz de communiquer notre conviction, pour aider ces cinéastes à se faire connaître e t à pouvoir réaliser leurs films.
Q : Pourquoi avoir mis l’accent sur le cinéma uruguayen ?
Réponse : C’est symbolique. C’est un tout petit pays qui digère tout ce qu’il y a autour. Avant, il n’y avait qu’un film tous les deux ans. Depuis le début des années 2000, nous voyons de jeunes cinéastes réaliser cinq films par an. Un cinéma naît : pas un cinéma qui renaît mais qui commence à naître parce qu’il n’existait pas avant.
Q : Il y a beaucoup de premiers films cette année ?
Réponse : Les cinéastes latinos ont besoin de vitrines pour montrer toutes leurs énergies. Quand il y a des films de cinéastes reconnus, et qu’ils sont bons, ils sont sélectionnés par les grands festivals. Notre rôle est donc de regarder attentivement les premiers films. Alors on peut être moteur pour les aider et les faire connaître.

Propos recueillis par Alain Liatard au festival de Biarritz.



Un nouveau film argentin vient de sortir en salle en catimini, « El otro », premier film d’Ariel Rotter.
Un avocat, dont la femme est enceinte et qui s’occupe de son vieux père, doit aller à Victoria rencontrer un notaire. Là bas, il décide de ne pas retourner à Buenos Aires. Il va rencontrer diverses personnes, des jeunes qui représentent la vie et des vieux, la mort. Lui, qui a quarante-cinq ans, se retrouve juste au milieu. Ainsi, il s’offre une parenthèse, comme un gamin qui aurait séché l’école. Il sait qu’il devra un jour, soit disparaître vraiment, soit reprendre le cours de son existence. Ce film qui a été primé au festival de Berlin, cette année, présente une belle interprétation de Julio Chavez. Même s’il est un peu lent, il n’est pas normal qu’il passe complètement inaperçu.
Alain Liatard

Biarritz 2007


Le 16ème Festival de Cinémas et Cultures d'Amérique Latine s'est déroulé fin septembre à Biarritz. À côté des volets littératures, concerts, marchés, la section cinéma était particulièrement riche cette année.



La noche de los inocentes d'Arturo Sotto est une comédie cubaine qui présente un mélange de rire et de dérision. Un jour de fête, un jeune homme ne veut pas que sa petite amie se marie avec un étranger. Pour cela il se travestit, tombe comme par hasard sur son père qui le roue de coups et se retrouve à l'hôpital interrogé par un policier qui se prend pour Humphrey Bogart.


La parabole peut toucher mais l'aspect éminemment macho du film est un peu trop déplaisant. Il a cependant obtenu le Prix du Jury.



Postales de Leningrado de Mariana Rondón a obtenu le Grand Prix, l' "Abrazo" du meilleur long métrage. C'est un beau film politique vu à travers les yeux d'enfants. Le film se passe au Venezuela dans les années 60 au temps de la guérilla. Comme un jeu, un puzzle, les enfants font, des persécutions et de la clandestinité, leur raison de vivre en attendant que leurs parents reviennent de la montagne où ils se sont cachés. "C'est un film très personnel", déclare la réalisatrice, "qui m'a permis de reconstituer des anecdotes, de retrouver des choses cachées. J'ai pour cela utilisé des formes narratives très variées : images d'archives, voix off, séquences d'animation." Tout cela donne au film beaucoup de fraicheur et d'originalité et nous permet de saluer le retour du cinéma vénézuélien.



Por sos proprios ojos de Liliana Paolinelli a obtenu le Prix d'Interprétation pour Ana Carabajal et Luisa Núñez. En Argentine une étudiante en cinéma fait une thèse filmée sur les femmes de prisonniers. Elle se lie d'amitié avec une femme qui en échange de l'interview lui demande d'aller rendre visite à son fils. Toutes les séquences décrivant le milieu carcéral sont particulièrement intéressantes. Malheureusement le film s'enlise ensuite dans un récit trop conventionnel. Dommage car les deux actrices ont vraiment mérité leur prix.



Matar a todos d'Esteban Schroeder (Uruguay, Argentine, Chili) revient sur la période trouble des dictatures d'Amérique Latine. Un savant chilien, conseiller de Pinochet, se réfugie dans le commissariat d'un petit village uruguayen où il déclare qu'il a été enlevé et qu'on veut le tuer. L'enquête va être confiée à une avocate qui découvre très vite que la police veut classer l'affaire en effaçant des preuves, mais elle continue son enquête dans un milieu qui cultive l'impunité. Pour le réalisateur qui revient sur ces faits, "La vérité fait mal, mais elle guérit". Voici un très beau film sur un point d'histoire de l'Amérique Latine. Le rôle de l'avocate est très bien interprété par Roxane Blanco, qui avait déjà obtenu le Prix d'Interprétation pour son rôle en 2005 dans "Alma Mater". Il a obtenu le Prix du Public



La sangre iluminada est un film mexicain d'Iván Avila Dueñas qui a obtenu le Prix du Jury des Jeunes. Voici un film curieux sur la transmutation. À certains moments, la vie de l'un des personnages change et se poursuit dans le corps d'une autre personne. Cela se produit quand pour une raison ou une autre un personnage se met à saigner. Le réalisateur, auteur d'un livre sur Buñuel, s'inspire de l'œuvre de l'écrivain portugais Fernando Pessoa.



Deux films brésiliens furent également présentés.



Ó pai ó de Monique Gardenberg raconte la vie des habitants d'un immeuble au cœur de Salvador de Bahia durant la dernière journée du Carnaval. Le film est très vivant, coloré, musical, il montre des gens pauvres mais jamais désespérés. C'est un agréable divertissement.



L'autre film, O ano em que meus pais sairam de ferias de Cao Hamburger se passe en 1970 pendant la coupe du monde de football, au moment où la dictature se durcit. Les parents de Mauro, 12 ans, sont obligés de 'partir en vacances' et confient Mauro à son grand-père. En fait l'enfant sera recueilli par un ami du grand-père qui l'introduit dans la communauté juive de São Paulo. Ce sera pour l'enfant des vacances et une initiation à un nouveau milieu.




Aurora Boreal de Sergio Tovar Velarde est un passionnant film mexicain. Nous sommes en 1994 et Mariano, un adolescent, décide de se suicider. Avec sa petite caméra vidéo, il interroge tout le monde sur les raisons qu'il y a à vivre et veut expliquer sa volonté. Il va découvrir un secret de famille qui le fera réfléchir et lui donnera l'occasion d'avancer vers l'âge adulte. Le film montre bien comment une caméra peut être un moyen de capter l'émotion. Elle reflète l'identité des personnages mais aussi de la société qu'elle filme. Voilà un film très original.



Esto huele mal est un film colombien que Jorge Ali Triana a réalisé d'après un roman de Fernando Quiroz. Il aborde un fait réel, sous forme tragi-comique : l'explosion d'une bombe lors de l'attentat du club El Nogal à Bogotá, il y a quelques années. À partir de ce moment là, tout s'écroule dans la vie de Ricardo, un important homme d'affaires. Le film n'emporte pas complètement l'adhésion. Le réalisateur, metteur en scène de théâtre très connu en Colombie, avait mieux réussi il y a quelques années le film "Bolivar soy yo".




Courts métrages :



Le Grand Prix est allé à Temporal de Paz Fabrega (Costa Rica). Ce film raconte les petits moments, qui passent inaperçus mais qui sont souvent décisifs sur les relations entre deux filles et qui leur permettent de s'évader de leur milieu. Signalons aussi trois autres courts, Lo que trae la lluvia (Chili), La escala benzer (Argentine) et enfin Tiene la tarde ojos (Mexique).




Documentaires :



Le Festival de Biarritz est aussi une compétition de films documentaires. Le Prix fut remporté par "Secretos de lucha" de Maria Bidegain. La réalisatrice reconstitue les engagements de son père, de ses tantes et oncles durant la dictature militaire uruguayenne. Un autre documentaire intéressant, Madres, où nous vivons pendant deux heures avec 17 mères de la Place de Mai, toujours à la recherche de leurs enfants et qui n'abandonnent pas.



Le Festival comportait aussi un hommage au cinéaste bolivien, Jorge Sanjines, auteur à la fin des années 60, des célèbres films politiques, "Le sang du condor" et "Le courage du peuple".



Enfin quelques films étaient présentés en avant-première et déjà projetés à Cannes, comme le long documentaire de Carmen Castillo "Rue Santa Fe" ou le très drôle "El baño del Papa" d'Enrique Fernandez et Cesar Charlone, ces deux films doivent sortir très rapidement en France.



Cette année, le Festival de Biarritz ne présentait peut-être pas de remarquables coups de cœur, car le Festival de Cannes avait projeté déjà de très bons films. Mais des films en provenance d'Argentine, d'Uruguay ou du Venezuela ont jeté un regard passionnant sur l'Amérique Latine.




Alain Liatard

26 septembre 2008

Cannes 2008


L’Amérique latine au festival de Cannes 2008
La reconnaissance du cinéma latino progresse chaque année à Cannes. Pour cette grande fête du cinéma où pour la première fois depuis 21 ans la Palme d’Or a été attribuée à un film français, « Entre les murs » de Laurent Cantet et où le cinéma européen a été plutôt bien représenté au palmarès, le cinéma d’Amérique latine était proposé quatre fois en section officielle. Il repartira d’ailleurs avec le prix d’interprétation féminine pour Sandra Corveloni, dans « Linha de passe » de Walter Salles.
Deux films argentins étaient en compétition montrant ainsi la vitalité de ce cinéma. « Leonora » est le cinquième film de Pablo Trapero dont on connaît « El buenaerense », 2002 et « Nacido y criado », 2006. Julia 26 ans, enceinte, découvre chez elle le corps du père de son enfant. Elle est incarcérée dans une prison spéciale pour jeunes mères où elle vivra de bons moments de bonheur avec son enfant jusqu’à l’arrivée de sa belle-mère. Tourné dans une vraie prison, le film a demandé une très longue préparation. Marina Gusman, épouse du réalisateur joue ce rôle très riche de mère prête à tout pour se défendre. Elle aurait mérité de figurer au palmarès.
« La mujer sin cabeza » est le troisième film de Lucrecia Martel après « La cienaga », 2001 et « La niña santa », 2004. Une femme au volant de sa voiture heurte un corps étranger et ne s’arrête pas. Peu à peu, traumatisée par cet événement, elle va s’abstraire de son entourage puis du monde. A partir de ce sujet bien joué par Maria Onetto, Lucrecia Martel n’arrive pas à sortir de la thématique de cette grande bourgeoisie argentine où excellait dans les années 50 Leopoldo Torre Nilson.


« Linha de passe » est le sixième film de Walter Salles dont trois sont cosignés par Daniela Thomas. Tout le monde se rappelle de « Central do Brasil », 1998 et de « Diarios de motocicleta », 2004.
Le film se passe à Sao Paulo. Au milieu de ses 22 millions d’habitants et de ses 300 kms d’embouteillages quotidiens, nous suivons une famille composée de quatre fils. L’aîné est le seul à travailler ; le second se réfugie dans la religion ; le troisième rêve d’une carrière de footballeur mais à 19 ans il est peut-être déjà trop vieux ; le plus jeune cherche son père chez tous les chauffeurs de bus. Leur mère, femme de ménage, élève seule ses 4 enfants nés de pères différents et est à nouveau enceinte. C’est elle qui essaie de garder l’unité de cette famille. Réellement enceinte au moment du tournage, elle va perdre son bébé quelques mois plus tard. Sandra Corneloni, qui n’est pas une actrice professionnelle a obtenu le prix d’interprétation féminine. Nous reviendrons sur ce film au moment de sa sortie en France, en octobre.
Fernando Meirelles, le réalisateur brésilien de « Cidade de Deus », 2002, présentait en ouverture un film en anglais, et en japonais, « Blindless », sur une épidémie de cécité qui se propage à une vitesse fulgurante.
Enfin nous ne pouvons terminer ce panorama latino de la compétition officielle sans parler de « Che » de Steven Soderbergh. L’acteur portoricain Benicio Del Toro était l’origine du projet de ce dyptique sur le Che financé par des producteurs européens . La première partie se déroule à Cuba de 1956 au 1° janvier 1959 date de la prise de La Havane par Fidel Castro. On y suivra un Che d’abord médecin puis « comandante » et enfin héros révolutionnaire. La seconde partie suit la campagne de Bolivie de Che Guevara en 1966-67 : ténacité, sacrifice, idéalisme et héroïsme qui aboutiront à la mort. Le film n’est pas une superproduction hollywoodienne mais plutôt une œuvre sur un groupe d’hommes. Bien sûr tout n’est pas abordé au cours de ces 4h28, en particulier le rôle de Che Guevara au début des années 60, ni vraiment ses relations avec Fidel ou Raul Castro. Ici c’est plutôt le révolutionnaire qui veut aider le peuple à s’émanciper qui est décrit dans la première partie. Et dans la seconde, c’est le symbole de l’idéalisme qui perdurera à travers le monde. Pour un tel rôle, il était certain que Benicio Del Toro concourrait pour le prix d’interprétation. Il l’a obtenu. Bravo !
Dans la section « Un certain regard », nous avons vu le second film du mexicain Amat Escalante (après « Sangre », 2005). Deux mexicains sans papiers viennent travailler aux Etats Unis où ils gagnent une misère jusqu’au jour où on leur propose un travail beaucoup plus rémunérateur, un assassinat. Comme dans son film précédent, il s’agit ici encore d’un film à la fois distancié, lent et violent. Ces termes peuvent paraître contradictoires mais Escalante est vraiment un cinéaste à part.
« A festa da menina morta » est le premier film du brésilien Matheus Naschtergaele. Il raconte l’histoire de Santinho, auteur d’un « miracle » lors du suicide de sa mère. Il devient le chef spirituel d’une secte de la région amazonienne. Beaucoup de chants et de musique rythment ce film original qui va chercher son inspiration du côté de Glauber Rocha.

« Tony Manero » est le second film du chilien Pablo Larrain, présenté à la « Quinzaine des réalisateurs ». Nous sommes en 1978 sous la dictature de Pinochet et Raul Peralta, un homme d’une cinquantaine d’années, est obsédé par Tony Manero, le personnage qu’incarne John Travolta dans « La fièvre du samedi soir ». Pour passer à la télévision en imitant son idole il commettra une série d’actes qui permettront à la police d’arrêter ses partenaires impliqués dans des activités clandestines. Pablo Larain a voulu montrer comment une société est incapable de regarder son Histoire en face, et qui bien qu’ayant les mains tâchées de sang, essaie de briller, prête à danser sous les sunlights. Il montre un pays qui tourne le dos à lui-même pour des rêves américains. Malheureusement si les intentions du réalisateur sont évidentes, la réalisation est brouillonne et pas très convaincante. Il sera nécessaire de revenir sur ce film au moment de sa sortie en France à l’automne.
Autre film, celui-ci est uruguayen qui devrait sortir en France, « Acne » de Fernando Veirog. Rafael, 13 ans, est amoureux de sa camarade de classe mais il ne sait pas comment s’y prendre, se débattant avec ses boutons, un sentiment d’insécurité et le divorce imminent de ses parents.
Nous n’avons pas vu « Liverpool » de l’argentin Lisandro Alonso à qui l’on devait « Los muertos », 2004, ni « Salamandra » le premier film de Pablo Aguero, tournés tous les deux en Patagonie.
Pablo Fendrik, présentait à « La semaine de la critique » « La sangre brota ». A Buenos Aires, une famille se déchire. Pourtant Arturo, le père paraît être un chauffeur de taxi tranquille. Mais vont se révéler peu à peu les tensions, les liens de répulsion ou de possession qu’entretiennent entre eux les membres de cette famille. Evidemment il s’agit aussi d’une certaine vision de l’Argentine de ces 10 dernières années.

Revenons au Mexique largement présent à Cannes par ses courts-métrages, ses coproductions et le film de clôture de « La semaine de la critique », « Desierto adentro » de Rodrigo Plá. Ce film est complètement différent de « La Zona » qui connaît une belle carrière. Au cœur du Mexique rural des années 30, Elias est convaincu que pour expier son péché contre Dieu, il doit lui construire une église. Bien sûr nous pensons tout de suite au réalisme poétique de Garcia Marquez ou au sujet du film de John Ford « Dieu est mort ». Ici cohabitent le quotidien d’une famille abandonnée à elle-même, des visions d’un enfant qui peint des ex-voto (avec de superbes séquences d’animation) et la peinture d’un pays déchiré par des luttes entre la religion et l’Etat. Si le récit est raconté par l’enfant c’est la folie du père qui entraîne cette croisade impossible pour se racheter auprès d’un dieu cruel. Par sa mise en scène, son souffle narratif, Rodrigo Plá est un cinéaste sur lequel il faut désormais compter.
L’Amérique latine était donc fortement présente à Cannes cette année, avec surtout trois de ses pays à la belle production que sont l’Argentine, le Brésil et le Mexique.
La plupart de ces films devraient être heureusement diffusés en France et nous reviendrons sur certains d’entre eux à ce moment-là. Mais leur carrière sera rapide et courte. N’hésitez pas à les découvrir.

20 juin 2008

Annecy 2008

Nous avons beaucoup de chance en Rhône-Alpes concernant le cinéma d’animation et l’image de synthèse. Avec un pôle de compétences à Lyon (Imaginove), Lyon Game qui s’occupe de jeux vidéos, Folimage, lieu de production de films et école à Valence, Citia à Annecy, Gebeka, distributeur de films à Lyon, voici tout un ensemble qui propulse le cinéma image par image.
Le fleuron est le Festival international du cinéma d’animation d’Annecy qui se déroule chaque année en juin. 115 000 entrées, 500 films projetés, dont 216 en compétition venant de 34 pays différents, vus par 6 700 professionnels dont 1 500 étudiants en école d’art ou de communication.
Il est difficile en quelques lignes de faire le tour des différents événements d’un tel festival : rencontres professionnelles, conférences, marché du film, carrefour de la création, présentation des programmes pour la jeunesse sur les chaînes TV, concours de projets…
Le festival a mis en avant cette année une superbe exposition consacrée à Emile Cohl, dont on fêtait le centenaire du premier film d’animation (Fantasmagorie, 1908), les avant-premières de « Valse avec Bachir » déjà remarqué à Cannes, de « Mia et le Migou » de Jacques Rémy Girerd, presque entièrement fabriqué à Valence et qui sortira pour les fêtes de Noël, la présentation de longs métrages en cours de réalisation, la projection de 19 nouveaux films de long métrage et un hommage à l’animation indienne.
Côté palmarès, c’est le très beau film « la maison en petit cube » (Japon), fable écologique où un homme reconstruit sa maison hors de l’eau à mesure que la mer monte, qui a obtenu le grand prix.
Le court français « Skhizen », l’histoire d’un individu frappé par un météorite qui vit à 91 cm de lui-même a obtenu le prix du public. Le film espagnol « la Dama en el umbral » inspiré par Gaston Leroux a obtenu le prix spécial du jury.
Côté long métrage « Sitia sings the blues », une adaptation musicale de l’épopée indienne Le Râmâyana a remporté le cristal du long métrage. L’inusable Bill Plympton (USA) a obtenu une mention spéciale pour son dernier long « Idiots & Angels ».
Le court-métrage français « Caméra obscura » a obtenu le prix du meilleur film de fin d’études : il s’agit de l’interprétation de la vision d’un aveugle. Réalisé par trois étudiants de Supinfocom, cette très bonne école fêtait cette année ses 20 ans.
En ce qui concerne les films latinos, on a pu voir « 2 métros » (Argentine), bataille entre deux créatures, trois films publicitaires brésiliens ainsi que « Casa de Máquinás » ainsi que « Passo ».
« Corte eléctrico » (Colombie) montre un laveur de vitres qui voit l’intimité d’un immeuble. « For you my people » (Mexique) est un film de fin d’études sous la vision pervertie du pouvoir.
L’Espagne présentait sept films dont le prix spécial du jury court et « Nocturna », un long déjà diffusé en France.
Le cinéma d’animation occupe aujourd’hui une place de choix dans le cinéma. Comme le dit Serge Bromberg, directeur artistique du festival, « de la poésie de certaines productions européennes à l’éclatant dynamisme des supers productions (…), de l’engagement politique de productions indépendantes aux expérimentations de plus en plus nombreuses et surprenantes, l’animation est désormais le genre le plus adulte et le plus multiforme du cinéma. »
L’animation c’est du rêve, de la poésie et aussi une possible interprétation du réel. Le festival d’Annecy a encore de belles éditions à proposer.